vendredi 26 septembre 2008

Nathan Singer, notre envoyé spécial en enfer



Il serait objectivement dommage que Prière pour Dawn passe inaperçu pour des raisons de paresse journalistique et médiatique, cette paresse qui résume la rentrée littéraire étrangère à l'obscur et surfait Thomas Pynchon, cet écrivain pour prof en narratologie, lu de manière pavlovienne et hébétée par les bacs+5.
Prière pour Dawn est le premier roman de Nathan Singer. Quand Moisson rouge a décidé de mettre en bandeau l'Attrape-Coeurs 2008, il ne s'agissait pas (simplement) de stratégie commerciale. L'Attrape-coeurs est ce roman culte de Salinger qui mettait en scène un adolescent, Holden Caufield, viré de son école et découvrant qui il était pendant une fugue de quelques jours. Dans Prière pour Dawn, c'est l'ensemble des personnages qui donnent l'impression d'être sortis du roman de Salinger pour partir à la découverte d'eux même, non plus dans l'Amérique heureuse et rockwellienne des années 50 mais dans le Disneyland préfasciste de l'après 11 Septembre.
Ils ne sont plus confrontés simplement à une quête d'identité mais à une violence protéiforme: politique, raciale, sexuelle, narcotique. C'est une Amérique où une petite fille de 9 ans vit entourée de pornographie, de came, d'ordre moral intrusif, de tours qui s'effondrent, une Amérique où un adolescent poète de 15 ans assume avec un mélange d'arrogance et de douceur une homosexualité hyperbolique avant de choisir le nomadisme révolutionnaire, une Amérique où l'on manifeste devant les couloirs de la Mort mais où un flic de Cincinatti peut lancer , par puritanisme, une chasse à l'homme après un dessinateur de génie (père de notre petite Dawn), une Amérique où les derniers hommes libres sont les chroniqueurs des journaux underground, ces samizdat de la dictature capitaliste.
Nathan Singer qui avait un peu plus de vingt cinq ans à l'écriture de ce livre maitrise parfaitement la polyphonie, sait jouer du contraste entre l'insoutenable (des viols à mort en taule), le magique (la télépathie entre fumeurs d'opium), le politique (les groupes radicaux anti-Bush) et la beauté pure (les poèmes qui scandent le récit).
On nous permettra pour conclure (provisoirement)à propos de Prière pour Dawn de citer Saint-Paul qui aurait parfaitement pu se trouver en exegue du livre: "Là où le péché abonde, la Grâce surabonde."

Jérôme Leroy

Nathan Singer, Prière pour Dawn, 18 euros.

mercredi 17 septembre 2008

Le Brésil qui ne danse pas...

La petite fille cherchait dans les herbes poussant entre les pavés de la rue un trèfle à quatre feuilles / le vieux cherchait à voir dans l’horizon troublé par l’inversion thermique la cheminée de General Motors. La petite fille chantait une chanson à elle, mélange de chansons existantes et inventées / le vieux se repassait une ancienne conversation. La petite fille observait le dessin des lignes de sa main / le vieux caressait ses cals séculaires. La petite fille faisait des jumelles avec ses mains et regardait à travers / le vieux frottait ses mains l’une contre l’autre comme pour les laver. La petite fille et ses tennis sur le trottoir / le vieux et les affiches sur les poteaux électriques. La petite fille avec une pièce dans le creux de la main / le vieux avec un billet froissé dans la poche de son pantalon. La petite fille préoccupée par les choses / le vieux préoccupé par les mots. La petite fille regardait le vieux / le vieux regardait la petite fille.

L’histoire d’un couple de vieux vivant dans une zone industrielle de São Paulo, liés par la rancœur et par l’échec, face à leur extrême solitude et au délitement des liens sociaux. L’histoire d’une rencontre entre le vieux et une petite fille qui vient illuminer leur vie quelques instants.

Fernando Bonassi est né à São Paulo en 1962, où il a étudié le cinéma. Il est scénariste, dramaturge et auteur de nombreux romans et nouvelles. Plusieurs de ses écrits ont été adaptés au cinéma et ont reçu de nombreux prix. Il est également chroniqueur pour le plus grand journal du Brésil, le Folha de São Paulo.
Bonassi fait partie d’une nouvelle génération d’auteurs qui renouvèlent profondément la littérature brésilienne et qui, pour dresser le portrait de cette société en crise et en mutation, trempent leur plume dans une encre sépia.

Subúrbio est le premier livre de la collection Semana Negra, dirigée par Paco Ignacio Taibo II.

En librairie le 25 septembre.