vendredi 29 janvier 2010

Duclock en remet une couche

Un court extrait de la critique du Pays où la mort est moins chère
par Duclock, sur son blog : http://duclock.blogspot.com/

"Le travail de Marignac sur le style - ce mot qui le fait tant bondir - s’apprécie sacrément. Tour à tour sec ou plus littéraire, il change le ton en fonction des histoires qu’il raconte. Chez lui, tout est pensé, jusqu’à l’agencement de ces textes articulés par thématique, un choix pertinent, articulé en Poursuites, Règlements de compte et Kamikazes. Au-delà de la thématique cette unité de ton, même si elle a été conçue après l’écriture, procède d’une logique qui favorise la lecture. L’intérieur même de certaines nouvelles se découpe en parties, chapitres, simples titres ou numéros. Je vous le dis, la forme, le souffle, une constante de la méthode Marignac."

jeudi 28 janvier 2010

De la librairie ENTRE-DEUX-NOIRS

par Christophe Dupuis (http://www.entre2noirs.com/)

"Le pays où la mort est moins chère" compile 20 années de nouvelles noires écrites par Thierry Marignac qui dans un avant-propos signale l'ordre dans lesquelles il a agencé tout ça (rien n'est laissé au hasard) pour donner de la cohérences à cet excellent recueil. Entrée en fanfare avec la première partie "Poursuite" et la première nouvelle, "9'79" menée tambour battant, speed, speed, tout comme B.J le narrateur, complètement excité par ce qu'il prend... Une sacrée prouesse stylistique qui vous embarque complètement. Tout ce poursuit avec "Sans cœur ni couronne", récit musclé et rythmé lui aussi en parfaite adéquation avec cette histoire vue en "caméra subjective"... Nous n'allons pas passer toutes ces bonnes nouvelles au crible, sachez que les univers sont très variés et le style précis et adapté à l'histoire. Vous regretterez que certaines ne soient pas des romans ("Aussi mort que Napoléon"), vous trouverez de belles tranches de vie ("Fille perdue"), de sacrés morceaux ("500 francs") et bien d'autres choses. Bravo à Moisson Rouge d'avoir compilé ces textes (la France est toujours aussi réticente à la nouvelle) et à Thierry Marignac de les avoir écrits.

vendredi 22 janvier 2010

Racailles

La note evene : 4/5La note evene : 4/5 par Mikaël Demets

Racket, baston, alcool, sexe, baston, viol, alcool, baston, alcool. Lorsque Vladimir Kozlov relate la jeunesse - sa jeunesse ? - dans une cité russe miteuse au milieu des années 1980, le décor est brut, sale, en noir et blanc. Surtout en noir, d'ailleurs. Alors qu'à l'échelle internationale on parle d'ouverture, de perestroïka, que Gorbatchev amorce une détente internationale, dans la rue, rien ne change. Gorby "arrive trop tard. Il aurait fallu ça bien avant", souffle un des personnages, exceptionnellement lucide. Et en effet, on ne voit pas ce que la politique peut venir sauver de ces ruines hantées par des débris humains. Du fait de l'absence de réelle trame générale et de la redondance du quotidien de ces âmes errantes, 'Racailles' lasse parfois. Tourne en rond. Mais le récit elliptique, qui passe brutalement d'une histoire à une autre comme un vinyle qui sauterait, permet de garder le lecteur en alerte et de l'emmener, finalement sans grand effort, jusqu'au bout du texte. Le mélange paradoxal d'effroi et de monotonie qui émane de ces pages rend palpable l'enlisement de ces Russes étêtés, sans avenir ni perspective, abandonnés par un système communiste qui n'est plus qu'une caricature de lui-même. Au fil de textes courts, rapides, rendus plus brutaux encore par son écriture râpeuse, Kozlov esquisse le tableau d'une génération dévastée : saouls du matin au soir, les parents ont baissé les bras ou finissent en prison. Les enfants, dès 12 ou 13 ans, boivent encore plus, agressent les filles, massacrent les plus faibles, s'affrontent entre quartiers, s'unissent contre les flics. Images terrifiantes, qui révèlent une rage creuse, dirigée contre rien. Des rats en cage, qui s'entre-dévorent parce qu'ils n'ont rien de mieux à faire. Et à qui Vladimir Kozlov redonne vie, ressuscitant des voix sorties de nulle part, que les livres d'histoire avaient oubliées.

mardi 19 janvier 2010

Paris is burning

par Christophe Bender
(Noirs deseins)

Vous n’ aimez que les enquêtes limpides? Les intrigues au cordeau? Voire, le roman noir à forte tendance humoristique? Oui? Alors je ne suis pas sûr que vous apprécierez ce Pays où la mort est moins chère.

Par contre, si vous êtes prêts à partir pour un voyage improbable dont la destination est inconnue, si vous aimez les écritures qui dynamitent les codes du genre, si vous êtes enclin à la secousse, à ce qui dérange, allez-y.
Je sais, je sais. Je pourrais écrire ce genre d’avant-propos pour beaucoup d’ouvrages que j’ouvre mais là, il me semble que cela se justifie encore plus pour ce recueil proprement hallucinatoire.
Des nouvelles écrites sur pratiquement 20 ans, des thème divers mais surtout une propension à pousser les limites de l’écriture et, parfois, du supportable.
Dans l’avant-propos, aussi clair que bref, l’auteur lui-même justifie le découpage en trois parties de cet ensemble de 11 nouvelles. Pas d’ordre chronologique pour celles-ci mais une classification thématique: « Poursuites », « Règlements de compte », « Kamikazes ».
Déjà tout un programme…

Marignac va alors se retrouver dans la tête de Ben Johnson dès l’ouverture du livre dans 9 » 79, dans celles de divers junkies, minables ou qui se veulent plus méchants qu’ils ne le sont avec Déchiré ou encore Le monde d’avant, nous transporter dans l’époque du Paris interlope pré-sida avec les Hybrides.

Qu’il nous propose des courses poursuites ou des déambulations urbaines, qu’il nous promène dans des quartiers chics ou des grands ensembles, que l’on se retrouve Ici ou Ailleurs, Marignac ne relâche jamais son lecteur, nous coupe le souffle, nous claque méchamment la gueule. Et si d’aventures, on n’était pas calmé, il est encore capable de nous en coller une autre.
C’est bien une expérience de littérature qu’il nous offre ici, comme des morceaux de vie, des dérives comme des fuites en avant. On aurait tort de considérer l’ensemble comme parfaitement gratuit : C’est par une apparente froideur que Marignac rapporte, recentre, délivre les errances des travelos, des camés, des malheureux qui veulent avoir une petite part de quelque chose qu’ils ont parfois du mal à nommer, mais aussi des petits-bourgeois qui entendent s’encanailler, se frotter à la pègre, locale ou autre, avant de rentrer dans le rang (Aussi mort que Napoléon)

Si certains textes ne sont cependant pas dénués d’humour comme Blancs-becs où finalement, les bien-nommés finissent par rester à leur place, on est un peu dérangé par cette femme à la dérive qui s’enfonce dans une spirale dans laquelle elle entraîne tout son entourage (Fille perdue).
Finalement, dans les textes secs et courts comme dans les nouvelles beaucoup plus longues, c’est souvent de courses dont il est question. Parfois sans but, parfois détournées. Jamais en ligne droite.

Ecriture punk, pressée, speedée, oralisée à l’extrême, à la limite du « No Future », Marignac dérange. On le remercie pour cela.

Le pays où la mort est moins chère de Thierry Marignac, Editions Moisson Rouge (2009), 141 pages


C. BENDER

http://noirsdesseins.wordpress.com

jeudi 14 janvier 2010

Portrait Chinois

Plusieurs auteurs ont accepté de répondre au “Portrait chinois” soumis par Action-Suspense. Aujourd'hui : Thierry Marignac (“Renegade Boxing Club”, “Le pays où la mort est moins chère”)


Si vous étiez un assassin, quelle arme auriez-vous utilisé ?

Question difficile, on pense à ses ennemis, on s’échauffe, on se prend à rêver : pendaison par les pouces, écartèlement, pilonnage d’artillerie lourde… J’ai trouvé !

Un instrument contondant, genre, hum, le casse-tête chinois.

Si vous étiez le cauchemars des cauchemars ?

Je serais l’agent du NKVD en retraite qui répondit à la question:

Combien de temps faut-il pour briser le ressort d’un homme ?…

Et j’aurais comme lui l’œil torve devant la caméra pour lâcher dans un soupir:

Trois semaines.

Si vous étiez le rêve absolument inaccessible ?

Prince d’un empire indépendant et surarmé au Nord-Est de l’Europe où les femmes esseulées ont automatiquement droit à une carte de séjour, si l’on excepte une toute petite formalité d’épilage de mollets qui concerne spécifiquement les concierges lusitaniennes.

Si vous étiez le pire défaut humain ?

Le goût du lucre sans frein, sans filet ― la cupidité monopoliste morbide et planétaire. La mesquinerie érigée en volonté de puissance. Bref, tout ce qui passe de nos jours pour du professionnalisme.

Si vous étiez un personnage historique (lequel), seriez-vous pire ou meilleur ?

Si j’étais Raspoutine, personne, je vous le garantis, n’aurait versé d’arsenic dans ma vodka.

Si j’étais Mémé Guérini, j’aurais sûrement été le premier à dire: ”L’ai-je bien descendu ?”

Si j’étais Frank Sinatra, je serais mort en beauté pour Ava Garner.

Si vous êtiez l’amant d’une star, vivante ou disparue, ce serait qui ?

Isadora Duncan, soufflée à Sergueï Essenine au bar de la Coupole grâce aux vers hypnotiques de mes poésies dadaïstes, par un « Soir de Paris, ivre du gin … » ― au cours de leur tumultueux périple en Occident. Essenine aurait vivement souhaité avoir la chance de me dédier son tabouret en pleine tronche, mais je lui aurais refilé de la coco ― occupant ainsi le poète du peuple le temps nécessaire à ce qu’on s’arrache à l’anglaise, moi et la danseuse étoile, vers une représentation privée du "Lac des cygnes".

Si vous étiez un animal 1/ sauvage, 2/ domestique ?

1)Un rat d’égout gros comme un chat de gouttière, deux fois plus teigneux et porteur de maladies infectieuses foudroyantes.

2) Un vautour de compagnie friand de foie d’alcoolique.

Si vous étiez une ville 1/ de France, 2/ d’Europe ?

1)Désolé, les villes de France (et en particulier la mienne : Paris dans sa version post-moderne) me navrent. Je ne peux donc pas répondre à cette question sous peine d’un gros coup de cafard improductif.

2) Odessa, Ukraine.

Si vous étiez un jour de la semaine ou une heure de la journée ?

Le lundi, parce que tout le monde est déprimé et ferme enfin sa gueule.

Assez banalement le crépuscule, parce que c’est l’heure de la métamorphose.

Si vous êtiez un métier (autre qu’auteur), lequel et pourquoi ?

Traducteur-interprète. On devient un réceptacle d’informations, sans avoir besoin de prendre parti. On pige qu’une "opinion", personnelle ou collective, est formatée de bout en bout. Ce qui commence par la langue maternelle et ses paramètres de plus en plus bornés.

Si vous êtiez une catégorie musicale ?

Le rock ultra-moderne de Alan Vega, des Black Keys, et plus encore celui de Mamonov (popstar russe des années 1980, acteur du film de Pavel Lounguine “L’île”) qui sait simultanément retourner aux sources binaires et se projeter en avant, en travaillant sur la dissonance, une des voies impénétrables (aux tâcherons) de l’harmonie ― voie royale pour les artistes.

Si vous êtiez un sport ?

Le tir olympique. Ça peut servir.

D'autres infos sur Thierry Marignac ? Cliquer sur la chronique de "Renegade Boxing Club" - sur celle de "Le pays où la mort est moins chère" - sur celle de "Maudit soit l'Eternel !"

Par Claude LE NOCHER - Publié dans : "Portraits chinois" -

lundi 11 janvier 2010

Bas fonds Péréstroïkés


"Gopniki " de Vladimir Kozlov
(http://www.vladimir-kozlov.com/French/Bio_fr.htm),
2002, éditions Ad Marginem (Moscou),"Racailles" VK traduit du russe par TM, 2010, éditions Moisson Rouge (Paris) extraits :


FLEUR DE LA JEUNESSE SOVIET

« Hourra ! Les vacances ! Trois mois ! C’était hier le dernier jour d’école, et il n’y a même pas eu d’école. Il y a seulement eu deux vieux croûtons dégarnis, et une grosse matrone qui se sont pointés pour choisir les élèves de l’école pour crétins l’année prochaine. Ils ont interrogé sur la table de multiplication, six fois huit soixante-quatre ou non ? Qu’est-ce qui distingue un taureau d’un tracteur et quel est le plus lourd un kilo de pain ou un kilo de sucre. Mais ils ont pas dit qui ils avaient choisi, ils le diront plus tard. Pour l’instant on peut jouer au foot et au poker, fumer des mégots, et balancer des cagnasses sur les trains, pour péter les vitres, piéger des chats noirs et les pendre, et encore tout le tas de trucs qui restent. »

« Moi ?, qu’est-ce que je suis, moi ? Je suis rien, et on ferait mieux de moins me prendre la tête, sinon j’irai plus jamais manger chez moi, je piquerai de la bouffe au magasin. Le plus important c’est de ne pas tomber aux mains des vendeurs, sinon ils vous tabassent à coups de balai et vous balancent aux flics, mais les flics — c’est tous des salopes et des chacals, mais j’ai rien à dire sur eux. »

« Et avant de dormir, on fonce encore dans le jardin du Taré — pour lui souhaiter bonne nuit. Il est en sentinelle, il arpente son jardin de long en large avec son fusil, et on lui crie, bonne nuit, Sergueï Stepanytch, ne t’endors pas ou on foutra le feu à ton jardin, et il crie foutez le camp d’ici vauriens, je plaisante pas.
Et maintenant tout le monde rentre à la maison. Et demain — on refera tout exactement pareil ».

PARANGON DES SCIENCES ET DES ARTS
« Je dois avoir une influence positive sur ce crétin. Son communisme a rendu la prof complètement abrutie. Pour elle, le principal, c’est : ‘La force du collectif ‘. Même les autres profs se moquent d’elle, et le surgé nous a dit en confidence que c’était la dernière année qu’il la gardait à l’école. Une nouvelle époque s’est ouverte, la perestroïka a commencé dans notre pays, et pour les gens comme elle, c’est l’heure de la retraite. »

« Jusqu’à présent entre moi et lui tout était normal : il n’est jamais venu me chatouiller. On n’a même quasiment jamais bavardé depuis six mois qu’il est en classe. Il est plutôt taciturne, mais en vérité c’est une teigne : il va se castagner pour son quartier avec sa bande, et il rackette les petits.
—Bon alors, dit-il, on m’a spécialement mis à côté de toi pour que tu m’aides, Chétif. Alors vas-y, traîne pas.
Je le regarde, il a les cheveux gras, sales, il est couvert de pellicules, couturé de cicatrices. Un gogol dégueulasse. »


FRATERNITÉ SOCIALISTE
« Le règlement de comptes entre bandes a viré à l’eau de boudin. Ceux du quartier « Cosmonaute » nous ont pété la gueule : ils étaient au moins trente, si c’est pas plus. Ils m’ont éclaté la lèvre et m’ont collé deux cocards mitoyens. En revenant on avait tellement les glandes qu’on a tabassé deux pèlerins pas de chez nous dans le trolleybus : pour une raison ou une autre, ils venaient sur notre territoire, le quartier « Travailleur » — chez des copains ou chez des gonzesses, ça m’étonnerait qu’on les revoit de sitôt par ici . »

« Le soir, Il y a personne de chez nous à la station de bus, alors je vais voir Viek. Il m’ouvre la porte lui-même.
—Entre.
Je retire mes pompes et je rentre dans sa chambre.
—On m’a dit qu’ils avaient lourdé Byr du bahut ? Il demande.
—Pourquoi ?
—Parce que c’est un con. Il a déconné plus que tout le monde, il voulait montrer qu’il était genre affranchi. Chez lui dans son quartier c’était un zéro, mais là-bas, il croyait pouvait faire le malin. Et il a roulé sa caisse. Il mettait pas les pieds au bahut, il en foutait pas une rame, genre il avait autre chose à foutre, qu’il en avait rien à secouer. Eh bien, ils l’ont foutu dehors. Maintenant, à l’horizon, c’est l’armée.
—Comment ça, l’armée ?
—Il a déjà 18 ans, ça va pas tarder. Cet imbécile est resté trois ans en cinquième. Tu savais pas ?
—Non.
—Trois ans. С'est un total demeuré, pire que Byk. Alors il a déconné plus que tout le monde.
—Et qu'est-ce qu'il va faire, maintenant ?
—Rien. Sa mère lui a fait un tintouin d'enfer. Elle s'est pointée direct à l'école et elle lui a écorché les oreilles devant tout le monde. Elle lui a dit qu'elle le lourdait de chez eux.
—Comment tu le sais ?
—C'est un mec que je connais qui me l'a raconté. Il allait à l'école avec lui.
—Et lui alors, qu'est-ce qu'il a fait ?
—Rien. Il a disjoncté, il est parti. Jamais de la vie sa mère le foutra dehors, mais elle va lui prendre la tête. C'est ce qui lui faut, à cet imbécile. Je l'ai croisé aujourd'hui, il était bourré. Il m'a raconté des conneries — genre, c'est lui qui voulait se faire lourder, genre l'armée c'est super, presque comme la taule.»

VÉTÉRAN DU TRAVAIL
«Soit c'est une dépression hivernale, soit c'est les quatre jours sans herbe qui commencent à se faire sentir, mais peut-être c'est juste à cause d'une tache sur le soleil… Bref, pour une raison ou pour une autre l'apathie est écrasante. Dites-moi un peu, je suis le seul à virer lourdingue comme ça ou pas ?
De toute façon, c'est pas ça. D'accord il faut travailler. Ou faire comme si. À ma montre 2h 56. Encore cinq heures à rester ici. Putain de ta mère.»

(Traduit du russe par TM)
http://chroniquesmarignac.blogspot.com/