mardi 22 mars 2011

Mémoires d’un poisson rouge ( PSAUME V)



Des allumés, il y en a un bon paquet, chez 10/18, particulièrement dans la collection « Domaine étranger », mais des fous furieux comme Joey Goebel, j’en avais pas encore rencontré jusqu’à présent. (Faut dire qu’avec un nom pareil…)
Prenez un état-uni comme le Kentucky, et réunissez-y cinq déjantés, authentiques inadaptés de toutes catégories, et vous obtiendrez THE ANOMALIES, un groupe de rock en devenir des plus réjouissants. Une punkette octogénaire et nymphomane à la guitare, une furie surdouée de huit ans à la basse, un immigré irakien en quête de rédemption (que tout le monde croit gay) aux claviers, et une beauté gothique  frigide à la batterie…  Le tout emmené par le chanteur, leader du groupe et auteur des textes, Luster, un black charismatique au look de timbré, doté d’une intelligence supérieure et d’une ironie à l’avenant.
La narration est particulièrement étonnante : comme une suite de témoignages recueillis sur le vif, la plupart de la bouche des principaux protagonistes, mais aussi, plus rarement, de celle des personnages secondaires. Ainsi, l’auteur s’efface totalement derrière ses créatures, évitant au maximum les descriptions et les dialogues, rendant au lecteur — ravi de ne pas être pris pour un con — la liberté de laisser courir son imagination.
Je ne dévoilerai en rien la trame ni l’histoire de ce roman presque trop beau pour être vrai. Car au delà de l’humour patent et de l’ironie mordante des situations drôlatiques, ce livre possède une dimension sincère et profonde : chronique tragi-comique de l’éternelle histoire des cinglés en tous genres. Bien plus, donc, qu’une simple pochade.
The anomalies est le premier roman de Joey Goebel, publié aux U.S.A. en 2003 et en français en 2009. Il est suivi en 2004 par Torturez l’artiste : Le grand patron d’une major de l’industrie du spectacle, atteint d’un cancer, réalise que toute sa vie, il n’a produit que de la merde. Au moment de lâcher la rampe, il cherche à se racheter en tentant de donner à voir et à entendre au grand public, des œuvres de qualité…
Féru de culture italienne, il crée alors dans le plus grand secret “Nouvelle Renaissance”, sorte d’école d’élite pour génies précoces, recrutés dès l’enfance aux quatre coins de la planète. Les élèves, destinés à devenir l’élite artistique de demain seront petit à petit introduits dans le milieu du show-bizness, provoquant une révolution qualitative depuis l’intérieur.  Chacun des “protégés” se verra encadré par un agent aux méthodes quelque peu radicales… En effet, ces mentors seront officiellement chargés de torturer moralement leurs poulains — à l’insu de ces derniers — afin de stimuler leur créativité.
Ainsi, le narrateur, coach d’un tout jeune écrivain, songwriter et scénariste des plus prometteurs, sera amené pendant près de vingt ans à tuer son chien, faire foirer ses histoires d’amour, brûler sa maison et le rendre alcoolique ­— bref, à lui pourrir secrètement l’existence, tout en se faisant passer pour son meilleur ami et conseiller.
Né en 1980, ancien chanteur et guitariste Punk, ex rock critique, usant de la caricature à outrance, Joey Goebel — de son nom complet Adam Joseph Goebel III (y’a des parents qui méritent des baffes) — nous renvoie mine de rien dans nos buts. Sensible, drôle et purement rock’n roll, c’est un de ces rares (trop rares) auteurs qu’on peut reprendre au début dès la fin de la première lecture.
On attend maintenant Hartland, son troisième roman, à paraître chez Héloïse d’Ormesson.
Bonne lecture, bande de petits veinards !

jeudi 3 mars 2011

LECTURES ÉCOLOS.


par JC Ditroy


Il y a des contrevérités qui ont le don de me foutre hors de moi : prétendre qu'une voiture électrique est "propre", que l'énergie nucléaire est "non polluante" (comme si on avait résolu la question ô combien épineuse des déchets !) et qu'elle assure notre indépendance énergétique (ah bon ? on a de l'uranium, en France ?), ou bien encore, entendre déclarer sans rire que compacter les bouteilles en plastique vides, ça fait moins de déchets... (dixit Jérôme Bonaldi).
Alors quand on a la fibre écologiste, on peut toujours se donner bonne conscience et la gerbe en regardant Le cauchemar de Darwin d'Hubert Sauper, les putasseries du Hulot que je n’appelerai jamais Monsieur, et les insipides leçons de morale de l’homme à l’hélicoptère qui ne pollue pas, ou encore  Une vérité qui dérange  du regrettable Al Gore, dont la défaite ― par lui bien vite acceptée ― aux élections de 2000 (c’est à dire hier matin) , contre Dobeuliou Bush s'est jouée en Floride, l'un des écosystèmes le plus fragiles et les plus dévastés du monde, livré aux bétonneurs et aux pétroliers.
Mieux vaut nous plonger avec délice dans la lecture du très réjouissant Jackpot de Carl Hiaasen (10/18), auteur fendard, écolo, amoureux de sa Floride, justement, qui met en scène la confrontation entre une aide vétérinaire noire, éprise de nature et deux pécores néo-nazis, sous l'œil désabusé d'un journaliste bien évidemment alcoolique : un régal ! Du même auteur, Pêche en eaux troubles (toujours chez 10/18) décrit avec férocité les magouilles politico financières et les ravages combinés de la pêche « sportive » et du tourisme industrialisé. De quoi rigoler un bon coup (d’autant qu’il en a écrit plein d’autres, mais ces deux-là, c’est mes préférés...).
Un autre grand allumé, écrivain icône des années soixante, Edward Abbey, était un radical : saboteur de bulldozers et inspirateur du mouvement « Earth First! », qui rêvait de faire sauter les barrages et de rendre la nature à elle même. On lui doit une vingtaine de bouquins, dont le génial Gang de la clef à molette et sa suite, Le retour du gang de la clé à molette, réédités chez Gallmeister. Attentats jouissifs perpétrés par une bande de militants écolos complètement déjantés, livrant une guérilla sans merci à des industriels mormons dingues de pognon et d’uranium (c’est la même chose), dans le sublime décor de la région des four corners,  ce désert  à cheval sur les frontières de  l'Utah,  de l'Arizona, du Colorado et du Nouveau-Mexique.
À sa mort, en 1989, Edward Abbey fut enterré en secret , personne ne sait où exactement, dans ce désert qu'il aimait passionnément.
Alors ne boudez pas votre plaisir, pour une fois qu'on peut être écolo sans être ennuyeux...

JCD