Complètement désorienté, Eli se familiarise peu à peu avec son nouvel environnement et avec quelques-uns des habitants. Il trouve une place à la pension de Mme Durning et la journée, travaille avec d'autres ouvriers dans les champs de coton.
Durant son "séjour", il va faire la connaissance d'Ella, une jeune servante noire qui ressemble trait pour trait à la femme qu'il vient de perdre, et du légendaire blues man Howlin Wolf. Lui aussi a déjà voyagé dans le temps, et il met en garde Eli contre "Eux" : des êtres maléfiques et sournois qui forment la police du temps et poursuivent sans relâche les voyageurs "égarés".
Avec très peu de détails, l'auteur fait revivre le Sud ségrégationniste. On sent la poussière, la chaleur, la sueur après le labeur dans les champs. La vie est dure, encore plus pour les Noirs, brimés, asservis, quand ils ne sont pas pourchassés et lynchés, se balançant comme d'étranges fruits aux branches d'un arbre. Bientôt la révolte gronde, et les bagarres de 1938 font échos aux émeutes du quartier de Watts, à Los Angeles en 1965...
Bien-sûr, ce roman est aussi un hymne au blues du Delta, le blues originel, profond, archaïque, râpeux, celui des Robert Johnson, Big Mama Thornton, Skip James, Memphis Minnie, Son House..., autant de grandes figures que Nathan Singer convoque pour le plus grand plaisir des amateurs de "musique du diable".
Sur le plan formel, on retrouve quelques similitudes avec Prière pour Dawn, notamment la structure éclatée du récit et une histoire racontée à plusieurs voix, ici à partir des journaux intimes des différents protagonistes - Eli, Ella et l'énigmatique Jerôme Kinnae, qui sillonne le Temps et vend ses services à d'autres "voyageurs".
Mais alors que Prière pour Dawn avait tendance à s'éparpiller et à abuser d'effets stylistiques, Mississipi Blues garde une unité ainsi qu'une relative sobriété.
Il est juste dommage que le dénouement soit un peu rapide, pas assez "appuyé" - l'épilogue n'en est pas vraiment un d'ailleurs, plutôt une postface de l'auteur racontant la genèse du roman.
Hormis cette petite réserve, ce Mississipi Blues joliment scandé ne m'a pas lâché. Un petit bijou et un texte aussi iconoclaste qu'enchanteur, où le fantastique flirte savamment avec le polar.
Mississipi Blues / Nathan Singer (Chasing the wolf, 2006, trad. de l'américain par Laure Manceau. Moisson Rouge, 2010)