mardi 31 mai 2011

VIVA LA SEMANA NEGRA DE GIJON !

Vous ne connaissez peut-être par ce festival consacré aux mauvais genres, qui se déroule chaque été à Gijon dans les Asturies -Bretagne espagnole- et dure environ dix jours. Fusion réussie entre le festival littéraire et la fête populaire (concerts, grande roue, stands forains), cette petite perle noire créée par PACO TAIBO II rassemble la crème des écrivains sud américains et hispanophones. Malheureusement, entre les récentes élections, qui ont fait basculer l'Espagne à droite, le procès qu'intente le Recteur de l'université (pour que le festival ait lieu dans l'enceinte de l'université), et les graves difficultés budgétaires que rencontre l'organisation, le futur de notre Semaine Noire est sérieusement compromis. Les amoureux de cet évènement hors du commun lancent un appel à l'aide via notamment le groupe facebook Continuidad de la Semana Negra. Par les biais des blogs, sites, pages fb, articles de journaux et tout autre média, manifestez votre attachement pour la Semana Negra de Gijon, pour qu'elle reste cette rencontre privilégiée, cet exemple de ce que doit être un festival littéraire populaire.

“La littérature doit être dans la rue, sinon, elle est condamnée à mourir. Avec la Semana Negra, nous avons réussi à créer la République démocratique des lecteurs de Gijón car nous sommes des fabricants de rêves et d'utopies.” Paco Ignacio Taïb II

Noir comme polar chronique Psychose

Un vendredi après-midi à Phœnix, Arizona. Le patron de Mary Crane la charge de déposer à la banque les 40 000 dollars en cash qu'un négociant plein d'argent des concessions pétrolières vient de lui remettre pour l'achat d'une maison. Sur un coup de tête Mary décide de fuir avec l'argent, rejoindre l'homme qu'elle aime, Sam Loomis, un quincaillier d'une petite ville du Nord couvert de dettes qui les empêchent d'envisager le mariage.  Mais après 18 heures de conduite, épuisée, égarée sur une route secondaire, Mary décide de s'arrêter pour la nuit. L'obscurité, la pluie et le vent la poussent au Bates Motel, étrange établissement vide, tenu par Norman Bates, gros homme pathétique qui vit seul avec sa mère, malade et tyrannique.
Réédition -augmentée d'une préface de Stéphane Bourgoin et d'un entretien inédit avec l'auteur- dans une nouvelle traduction d'un classique de l'horreur que Robert Bloch écrit en 1957, inspiré par l'histoire du boucher de Plainfield. Une mécanique de l'angoisse et de la folie intacte, aux échos évidemment amplifiés par les images indélébiles de l'adaptation géniale d'Alfred Hitchcock (1960). Il est d'ailleurs étonnant de constater à la (re)lecture à quel point les deux se nourrissent.  L'atmosphère du livre fait surgir la silhouette angoissante de la vieille qui se découpe à la fenêtre de sa chambre, retentir le cri de Janet Leigh dans l'incontournable scène de la douche et rappelle qu'Anthony Perkins sera toujours Norman Bates, père des serial killer du polar américain, ou l'inverse. La tension schizophrénique latente qui explose en pics de violence, les dialogues, la nuit, le marais, l'ombre glaçante de la grande maison en surplomb et l'isolement nourrissent un récit dont le climat suffocant maintient à lui seul l'intérêt (rare) d'un livre à chute dont on connaît pourtant la fin.
Clémentine Thiebault

jeudi 19 mai 2011

Du noir dans les veines



Nous nous permettons de reproduire cet article que vous pouvez trouver sur le jeune blog polar de Baptiste Madamour, qui apparemment, a très bon gout.

Par Baptiste Madamour

"Le livre est découpé en plusieurs nouvelles dont une qui a la taille d’un court roman. Nous sommes plongés dans une cité russe à l’époque de la Perestroïka, des adolescents s’emmerdent, boivent se battent, s’humilient pour tuer le temps. Il ne se passe pas grand chose mais la tension est permanente, la violence peut surgir à tout moment.
L’écriture de Kovlov est puissante, sèche, le mot est toujours juste, l’auteur ne surplombe pas ce qu’il décrit, il montre ce qui est sans jugement, sans moral, il travaille sur la simplicité, la répétition des mots, des situations. Les phrases sont courtes, privilégient l’action même si on baigne dans l’inaction, faisant sentir une impression de mouvement inutile, de personnes coincées, ne pouvant s’extraire de leur environnement, du manque de futur. Le ton est agressif, dur, les dialogues sont très courts, impersonnels, le vocabulaire pauvre, cru et limité et pourtant grâce au style de l’auteur les textes ont une sombre beauté.
«On boit. Ça me tape sur la tête comme il faut. Je ferme les yeux et je comate aussi sec, je sais pas pendant combien de temps. Quand je me réveille, Orang-outang est en train de sauter Anokhina sur le divan et elle sourit la figure barbouillée de rouge à lèvres. Je repars dans le potage.
La deuxième fois, je suis réveillé par des cris. Tsigane tabasse Anokhina en gueulant :
- Tu m’as mordu la queue, salope. »
Un univers où les règles de vie sont apprises à coup de poing, à coup de pied des plus grands aux plus jeunes de façon immuable, le monde extérieur n’existe pas, les profs sont des ennemis, les filles des objets qu’on peut prendre, violenter, les parents sont des obstacles, des censeurs ou des pauvres types à mépriser. Ça se passe en Urss à une période précise, mais à quelques détails près ça pourrait se passer dans n’importe lequel de ces endroits tristes et vides où la misère sociale et affective empêche toute tendresse. Un livre très fort qui au final laisse la tristesse prendre le pas sur le dégoût. "

Baptiste Madamour
http://dunoirdanslesveines.fr/

mercredi 18 mai 2011

Art de Lire chronique Psychose



Ce mois-ci, les Éditions Moisson Rouge publient une réédition du classique du thriller psychologique: le bien nommé Psychose de Robert Bloch.
C'est bien évidemment le roman à l'origine du chef d’œuvre de Alfred Hitchcock. J'ai lu ce roman il y a plusieurs années et il m'a vraiment marqué! Au point que je n'ai vu le film que très récemment. De peur d'être déçu.
La psychologie des personnages m'avait prouvé à l'époque que rien n'est simple, et que la lecture demande une certaine attention!!! Et il est encore aujourd'hui pour moi un mètre-étalon dans son domaine!

mardi 17 mai 2011

Guillaume Fortin chronique Psychose de Robert Bloch


La publication, en 1959, du roman de Robert Bloch, Psychose (et de manière plus décisive encore, la sortie en salle, un an plus tard, de son adaptation cinématographie signée Alfred Hitchcock), marque l’avènement d’un nouveau genre : le thriller psychologique. Aux éléments d’ambiance et aux ressorts narratifs hérités du roman noir et du récit à énigme, ce spécimen parfait du genre, ajoute une innovation qui en constitue la caractéristique spécifique : impliquer le point de vue subjectif du lecteur dans la progression de l’intrigue.

Le suspens n’est plus seulement produit par l’analyse des indices permettant de découvrir les auteurs d’une suite d’évènements ayant rompu la continuité normée du quotidien (un meurtre ou un délit quelconque). Il est sous-tendu par une nouvelle logique qui place le lecteur (et non plus l’enquêteur-protagoniste) au centre des évènements qui se déroulent sous ses yeux.

Le lecteur « a vu » (presque tout vu) ce qui s’est passé. Il sait, ou, plus précisément, il en sait plus que les personnages de l’histoire eux-mêmes (enquêteurs compris). Il est toujours un peu en avance, sans que personne ne lui donne directement l’occasion d’expliquer les choses. Le lecteur est devenu le sujet du point de vue donné sur les évènements.

À la manière de L’homme qui en savait trop, il sait plus de choses que ce qu’il devrait. De ce fait, sa subjectivité est activée et stimulée de façon inédite. Non plus seulement par le biais de la déduction, mais par celui, plus direct, de l’affect – le frisson d’un voyeur à la fois sujet et objet de l’action qu’il contemple (la scène de la douche, la schizophrénie de Norman Bates).

Construit comme un scénario (après avoir beaucoup influencé le cinéma, la littérature américaine récolte à son tour les fruits des possibilités offertes par le 7ème art), le lecteur suit les différents points de vue d’un même évènement d’après les vécus des différents protagonistes qui en savent donc moins que le lui – ce dernier ayant déjà vu les choses se dérouler sous un autre angle.

Le lecteur est devenu sujet-voyeur, tout à la fois actif (sa subjectivité est activée par le fait qu’il sait ce que les protagonistes de l’action en cours ne savent pas encore) et terriblement impuissant (car tout est joué d’avance). D’où l’apparition d’un sentiment inédit (qui fit fureur, et fonctionne encore à merveille aujourd’hui), sentiment mêlé de tension et de douce terreur.

Psychose est aussi une histoire d’argent, et donc de culpabilité – et donc, de sexe (l’adaptation cinématographique exploitera d’avantage encore cette thématique en lui accordant une place prépondérante dès le début de l’intrigue et tout au long de la première partie du film suivant la mise en scène hyper-rythmée et à double niveau de lecture du réalisateur de génie – bien servie par une tout aussi génialissime bande originale d’un Bernard Herrmann au sommet de sa forme). Quelqu’un a bien commis une faute (l’argent dérobé qui mènera Mary au motel) et sera puni pour cet acte répréhensible. Punition morale, et immorale (en forme d’ironie du sort). D’ailleurs, l’argent sera finalement retrouvé : immaculé (« On découvrit l’argent dans la boîte à gants. Bizarrement, il n’y avait pas une goutte de boue dessus, pas une seule. »). La faute incomberait alors à autre chose que le vol : la présence d’une charge érotique tout à la fois implicite et refoulée (la scène de la douche dans sa version hitchcockienne).

Psychose est enfin une histoire de mère. Mère autoritaire, acariâtre et encombrante, figure castratrice à l’origine du pathos et de l’appréhension du sexe comme objet du refoulement (et déclencheur du retour du refoulé : le meurtre dans la douche).

Autant d’éléments (suspens psychologique, histoire de culpabilité, de sexe refoulé et de figure maternelle terrifiante) dont on comprendra qu’ils aient pu inspirer un cinéaste, et qui plus est un Hitchcock, dont l’adaptation du roman a marqué les esprits à tel point, que son film, devenu culte, a pris valeur de mythe inaugural (d’un genre dont le cinéaste fut et reste encore aujourd’hui le maître incontestable).

Dans ces conditions, lire ou relire le roman de Robert Bloch, donne l’agréable et troublante sensation de (re)plonger dans la mémoire matricielle d’une œuvre fascinante ayant contribué à inaugurer une nouvelle manière de raconter des histoires. Un pur chef-d’œuvre, réédité pour notre plus grand plaisir.  
   
Nouvelle traduction d'Emmanuelle Pailler
Préface de Stéphane Bourgoin