mardi 17 mai 2011

Guillaume Fortin chronique Psychose de Robert Bloch


La publication, en 1959, du roman de Robert Bloch, Psychose (et de manière plus décisive encore, la sortie en salle, un an plus tard, de son adaptation cinématographie signée Alfred Hitchcock), marque l’avènement d’un nouveau genre : le thriller psychologique. Aux éléments d’ambiance et aux ressorts narratifs hérités du roman noir et du récit à énigme, ce spécimen parfait du genre, ajoute une innovation qui en constitue la caractéristique spécifique : impliquer le point de vue subjectif du lecteur dans la progression de l’intrigue.

Le suspens n’est plus seulement produit par l’analyse des indices permettant de découvrir les auteurs d’une suite d’évènements ayant rompu la continuité normée du quotidien (un meurtre ou un délit quelconque). Il est sous-tendu par une nouvelle logique qui place le lecteur (et non plus l’enquêteur-protagoniste) au centre des évènements qui se déroulent sous ses yeux.

Le lecteur « a vu » (presque tout vu) ce qui s’est passé. Il sait, ou, plus précisément, il en sait plus que les personnages de l’histoire eux-mêmes (enquêteurs compris). Il est toujours un peu en avance, sans que personne ne lui donne directement l’occasion d’expliquer les choses. Le lecteur est devenu le sujet du point de vue donné sur les évènements.

À la manière de L’homme qui en savait trop, il sait plus de choses que ce qu’il devrait. De ce fait, sa subjectivité est activée et stimulée de façon inédite. Non plus seulement par le biais de la déduction, mais par celui, plus direct, de l’affect – le frisson d’un voyeur à la fois sujet et objet de l’action qu’il contemple (la scène de la douche, la schizophrénie de Norman Bates).

Construit comme un scénario (après avoir beaucoup influencé le cinéma, la littérature américaine récolte à son tour les fruits des possibilités offertes par le 7ème art), le lecteur suit les différents points de vue d’un même évènement d’après les vécus des différents protagonistes qui en savent donc moins que le lui – ce dernier ayant déjà vu les choses se dérouler sous un autre angle.

Le lecteur est devenu sujet-voyeur, tout à la fois actif (sa subjectivité est activée par le fait qu’il sait ce que les protagonistes de l’action en cours ne savent pas encore) et terriblement impuissant (car tout est joué d’avance). D’où l’apparition d’un sentiment inédit (qui fit fureur, et fonctionne encore à merveille aujourd’hui), sentiment mêlé de tension et de douce terreur.

Psychose est aussi une histoire d’argent, et donc de culpabilité – et donc, de sexe (l’adaptation cinématographique exploitera d’avantage encore cette thématique en lui accordant une place prépondérante dès le début de l’intrigue et tout au long de la première partie du film suivant la mise en scène hyper-rythmée et à double niveau de lecture du réalisateur de génie – bien servie par une tout aussi génialissime bande originale d’un Bernard Herrmann au sommet de sa forme). Quelqu’un a bien commis une faute (l’argent dérobé qui mènera Mary au motel) et sera puni pour cet acte répréhensible. Punition morale, et immorale (en forme d’ironie du sort). D’ailleurs, l’argent sera finalement retrouvé : immaculé (« On découvrit l’argent dans la boîte à gants. Bizarrement, il n’y avait pas une goutte de boue dessus, pas une seule. »). La faute incomberait alors à autre chose que le vol : la présence d’une charge érotique tout à la fois implicite et refoulée (la scène de la douche dans sa version hitchcockienne).

Psychose est enfin une histoire de mère. Mère autoritaire, acariâtre et encombrante, figure castratrice à l’origine du pathos et de l’appréhension du sexe comme objet du refoulement (et déclencheur du retour du refoulé : le meurtre dans la douche).

Autant d’éléments (suspens psychologique, histoire de culpabilité, de sexe refoulé et de figure maternelle terrifiante) dont on comprendra qu’ils aient pu inspirer un cinéaste, et qui plus est un Hitchcock, dont l’adaptation du roman a marqué les esprits à tel point, que son film, devenu culte, a pris valeur de mythe inaugural (d’un genre dont le cinéaste fut et reste encore aujourd’hui le maître incontestable).

Dans ces conditions, lire ou relire le roman de Robert Bloch, donne l’agréable et troublante sensation de (re)plonger dans la mémoire matricielle d’une œuvre fascinante ayant contribué à inaugurer une nouvelle manière de raconter des histoires. Un pur chef-d’œuvre, réédité pour notre plus grand plaisir.  
   
Nouvelle traduction d'Emmanuelle Pailler
Préface de Stéphane Bourgoin

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