samedi 17 mai 2008

Un roman culte


C'était à la Semana Negra de Gijon, en juillet 2006, Moisson rouge n'existait pas encore, il y avait Cathy Fourez, Marc Fernandez et Jérôme Leroy, et parmi les dizaines de livres dont on entendait parler revenait souvent Tiempo de Alacranes, d'un certain Bernardo Fernandez, un jeune type sympa qu'on croisait tous les soirs à la terrasse du Don Manuel, le QG du festival. Bernardo Fernandez, alias Bef (son nom d'auteur de comics) a la trentaine, une dégaine de chef de gang et, disait-on, un talent fou. Rumeur confirmée le jour de la remise des trophées lorsque son livre, très soutenu par Paco Ignacio Taibo II, a remporté celui du premier polar en langue espagnol.
Comme ce fut le cas pour la plupart des gens rencontrés là-bas, nos relations ne se sont pas terminées avec le festival... Moisson rouge est née à l'automne et l'enthousiasme de Marc Fernandez a achevé de nous convaincre de publier Bef. Au début de l'hiver c'était plié, signé, fêté avec Alexandre Civico, son agent.
Le livre, Une saison de scorpions, remarquablement traduit par Claude de Frayssinet, est sorti le 15 mai 2008...

Un livre à déguster bien frais, dont on vous explique en dix points pourquoi il va devenir culte :

1°) VOUS APPRENDREZ CE QUE VEUT VRAIMENT DIRE LA PHRASE : « LE DOCUMENT S’AUTODÉTRUIRA DANS TRENTE SECONDES »

2°) VOUS ROULEREZ DANS UNE IMPALA 70 NOIRE, AVEC DES FLAMMES PEINTES SUR LES CÔTÉS, CE QUI N’EST PAS À LA PORTÉE DE TOUT LE MONDE.

3°) VOUS SAUREZ POURQUOI LA PSYCHOSE MEURTRIÈRE EST LA VALEUR LA MIEUX PARTAGÉE ENTRE SURVIVANTS SHOOTÉS DES GUERRES BALKANIQUES ET NARCOJUNIORS QUI S’ENVOIENT EN L’AIR SUR LES BANQUETTES ARRIÈRES.

4°) VOUS ALLEZ RETROUVER UNE AMBIANCE AUSSI VIOLENTE QUE CELLE D’ APPORTEZ MOI LA TÊTE D’ALFREDO GARCIA. D’AILLEURS, DEPUIS L’AU-DELÀ, SAM PECKINPAH A FAIT PART DE SON VIF MÉCONTENTEMENT DE NE POUVOIR TOURNER LE LIVRE ET IL CHERCHERAIT À JOINDRE TARENTINO, EN VAIN POUR L’INSTANT.

5°) LES PERSONNANGES DE CE ROMAN DÉTESTENT TOUS LE TRAVAIL, TOUT AU MOINS LE TRAVAIL HONNÊTE. ILS BOIVENT, FUMENT, SE DROGUENT ET FORNIQUENT DANS DES PROPORTIONS MANIFESTEMENT EXAGÉRÉES.

6°) CELA NE LES EMPÊCHE PAS D’ÊTRE DES MORALISTES PROFONDS, DÉLICATS ET PERSPICACES QUI DISPENSENT MAXIMES ET APHORISMES DE HAUTE TENUE : « IL NE FAUT PAS ÊTRE EN DETTE AVEC UN TRAFIQUANT D’ARMES », « NOUS ALLONS TOUS MOURIR », « BREF, DANS CE PAYS, IL YA BEAUCOUP DE FILS DE PUTE ».

7°) ON RETROUVE DES GÉNÉRAUX CORROMPUS COMME DANS IL ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION, DES GÉNÉRAUX « DÉVOREURS DE PIMENTS, INCAPABLES DE MAINTENIR UNE ÉRECTION PLUS DE TROIS MINUTES. »

8°) UN USAGE EXCESSIF DES ARMES À FEU EST OBSERVABLE TOUT AU LONG DE CE ROAD-MOVIE. ICI, NE PAS TIRER LE PREMIER PEUT NUIRE GRAVEMENT À LA SANTÉ.

9°) LES MÉCANICIENS SONT POÈTES, LES TUEURS À GAGES CINÉPHILES ET ON AIME MOURIR PRÈS DE LA MER.

10°) LIRE UNE SAISON DE SCORPIONS EST UNE VÉRITABLE EXPÉRIENCE SCHIZOPHRÉNIQUE : C’EST AU MOINS UNE DEMI DOUZAINE DE VOIX QUI VOUS PARLENT SIMULTANÉMENT DE CHOSES AUSSI ESSENTIELLES QUE LE SEXE, LA MORT, LE TEMPS ET LA RECETTE DU « TACO DE VENGEANCE »

Une saison de scorpions, Bernardo Fernandez, traduit de l'espagnol (Mexique) par Claude de Frayssinet, 14 euros.

... et il n'est pas content (3)

Le Drappier coule toujours à flots dans les locaux d'ILK (I like kolkhoze) tandis qu'en enfer on semble préférer le Jack Daniel's. Suite des aventures infernales de Lilith, Télémaque et leurs auteurs... morts.

— Et tu as accepté le PCV ? Un PCV de l’Enfer ? Mais ça va nous coûter bonbon… La comptable va péter les plombs !
Télémaque avait l’air furieux et angoissé, perdu dans les mille plateaux de cette matinée irrationnelle.
— Qu’est ce que t’en sais, toi, du prix d’une communication avec l’Enfer ? objecta Lilith. Tu reprends du Drappier ?
— Ouais, passe moi un Molexil aussi….
— J’en ai plus dit Lilith en cachant le tube vert bourré de barrettes blanches dans son décolleté vintage. C’était un haut en dentelle noire de 1942, très cocktail au Lutetia en compagnie de Doriot, Junger et des p’tits gars de la Carlingue, tout ça pour la somme dérisoire de quatre mille deux cent cinquante sept euros sur ebay et après des enchères enragées contre une gonzesse qui se disait la nièce du président Laval et qui aurait connu un éphémère succès yéyé dans les sixties avec un 45 tours intitulé « Viens voir les miliciens ! »
Télémaque se passa les mains sur le visage puis invoqua les mânes de Deleuze et Guatarri pour sauver ILK (I like kolkhoze pour les initiés) de la débâcle financière et du vent de folie qui semblait souffler dans les bureaux. Il essaya de mettre ses idées en ordre, ce qui est toujours très dur pour un partisan de l’antipsychiatrie.
Il se leva, tenta de plonger sa main dans les seins de Lilith pour récupérer le Molexil. Elle le repoussa en arrière, il retomba sur son siège directorial.
— Et comment tu sais que c’était Robert Bloch ?
— Parce qu’il me l’a dit…
— Il parlait anglais ?
— Non, serbo-croate… Bien sûr qu’il parlait anglais, eh, pomme !
— Et pourquoi il n’était pas content ? Elle est pourtant chiadée notre réédition de La Starlette infernale, non?
— En fait, il a juste eu le temps de dire qu’il n’était pas content, que c’était la croix et la bannière pour trouver une cabine téléphonique en Enfer, que ce rat de Fredric Brown lui avait passé de la monnaie en échange de trois bouteilles de Jack Daniel’s, qu’il se brûlait les pognes avec l’écouteur, qu’il fallait que je me magne les fesses d’accepter le PCV et que c’était quand même malheureux que les portables ne passent pas, tout ça parce que Belzebuth a été incapable d’acheter les âmes des opérateurs de téléphonie mobile qui sont encore plus diaboliques et malhonnêtes que tous les démons réunis. Et puis ça a coupé brutalement et une odeur de soufre a flotté dans mon burlingue. Sans charre, va voir Télémaque, c’est irrespirable…
Télémaque huma l’air du nez et dubitatif demanda :
— Il y a du Jack Daniel’s en Enfer ?
— Des cabines téléphoniques aussi, apparemment…Et des auteurs de polar, mais tu me diras que c’est moins surprenant … dit Lilith en achevant la bouteille de Drappier.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— On ouvre une autre boutanche ?
— Non, je veux dire à propos de Robert Bloch ?
— On n’a qu’à attendre qu’il rappelle pour savoir ce qu’il veut exactement. De toute façon, il ne peut pas nous faire de mal là où il est.
Ce fut à ce moment précis qu’un bruit terrifiant vint de la kitchenette, immédiatement suivi d’un cri atroce.

vendredi 16 mai 2008

lundi 12 mai 2008

La bande de Moisson rouge

Les moissonneurs...


... la moisson.

vendredi 9 mai 2008

Chroniques domestiques (4) : Céleste aka Dawn et concours


Tout le monde connaît le travail — les travaux — de Romain Slocombe. Alors quand j'ai annoncé qu'il allait photographier pour notre livre de la rentrée, Prière pour Dawn (Nathan Singer), ma délicieuse petite cousine Céleste, six ans et demi (à ces âges, les demis comptent), ça a ricané dans les chaumières. Tsss, j'ai dit, vous avez vu une seule créature attachée ou plâtrée sur les couvertures de Moisson rouge? Moi non plus.
Nous avons donc retrouvé lundi dernier vers cinq heures Céleste et sa mère, Florence, dans une petite rue (on cesse tout de suite de ricaner) du 14e arrondissement, devant un immeuble en briques que Romain avait repéré*. Céleste revenait d'un week-end à Amsterdam (j'ai dit la ferme au fond de la classe) avec ses parents, couverte de piqûres de moustiques et crevée, et là, une bande de sadiques lui demandait de bien vouloir poser à la sortie de l'école — en plus elle avait piscine — devant l'objectif d'un inconnu. À vrai dire Céleste n'avait pas très envie d'aller, et si on se remémore ce que pas très envie signifie quand on a six ans et demi, on mesure l'effort. Elle est arrivée timide en robe salopette, Converses roses et t-shirt à fleurs, planquée dans les pantalons de sa mère.
On papote cinq minutes et on s'y met, et quand elle s'aperçoit que le dispositif est tout sauf impressionnant — Romain travaille avec un petit appareil numérique — elle se prête illico au jeu. Et nous on regarde, et Florence nous explique tout ce que je viens de vous raconter, Amsterdam et la piscine, le pas très envie. Pendant ce temps, devant l'objectif, Céleste, debout, regarde les immeubles; elle s'assied en fixant ses Converses; elle lève les yeux au ciel, appuyée contre le mur. Manifestement, envie ou pas très, elle est à l'aise et suit à la lettre les instructions — douces et simples — de Romain.
La séance dure une petite quinzaine de minutes, au bout desquelles on libère (nan, pas de ses liens, c'est une image) la modèle qui va enfin pouvoir prendre son goûter. Romain est ravi, nous aussi. Il a pris des dizaines de photos mais en a d'ores et déjà sélectionné trois qui colleront parfaitement pense-t-il. On remercie et on s'en va.
Dès le lendemain, Michel Baverey, notre maquettiste, nous envoie deux propositions de couverture. Romain avait raison: les photos sont superbes et Céleste fait une parfaite petite Dawn. De l'avis général l'une des couvertures marche mieux, un plan serré sur le visage qui regarde le ciel, mais Hector et moi avons un faible pour l'autre, la gamine paumée en salopette qui regarde ailleurs. On se range cependant à l'opinion majoritaire et on se console en commandant des tirages de notre photo préférée.
Vous ne verrez pas la couverture avant le 3 juin, jour de la livraison de Prière pour Dawn... En attendant, quelques photos de notre ravissant modèle, toutes signées, donc, Romain Slocombe.



* CONCOURS (à propos du repérage):

Les cinq premiers qui trouveront où a été prise la photo de couverture des Vies parallèles, de José Ovejero, recevront un livre Moisson rouge.

Réponse à envoyer à jvernant@moisson-rouge.fr

Indice, c'est à Paris dans le 6e arrondissement.

mercredi 7 mai 2008

La relève


Coquetèle punk (1)

Kriss Vilà viendra signer (et non pas manger) son Sang Futur au Houla Oups (4 rue Basfrois 75011 Paris) ce soir, 7 mai, à partir de 20 heures.
Renseignements sur l'images ci-dessous ou à demander à jvernant@moisson-rouge.fr

À ce soir...

lundi 5 mai 2008

28 août 1947-1er mai 2008


Frédéric Fajardie est mort.

jeudi 1 mai 2008

.... et il n'est pas content (2)

Deuxième épisode de notre saga printanière, où l'on en apprend plus sur nos héros (et les télécommunications post-mortem), et où toute ressemblance avec etc. etc. serait évidemment fortuite.
Et puis surtout, un épisode à l'image du dernier livre de la maison : PUNK.


Télémaque regarda Lilith. Télémaque tenta de se souvenir ce qu’ils avaient fait la veille. Ils avaient bu, évidemment. D’abord en compagnie de Tristan Rimaniaque, un auteur de polar perpétuellement en rage contre le genre humain, y compris les humanistes ibères de gauche comme l’auteur de Plutarque à Ostende qu’il avait poursuivi lors d’une soirée mémorable avec un sabre cosaque. Car Rimaniaque vivait aussi en Russie six mois de l’année où il fomentait des coups d’états néo-communistes avec d’anciens du KGB qui comme lui aimaient se baigner par moins vingt après avoir brisé une couche de glace à coup de manche de pioche, les mêmes manches de pioches qui avaient juste avant fracassé la tête de libéraux pro-européens, d’homosexuels moscovites ou de tchétchènes drogués.
Parfois, vivre et travailler avec Rimaniaque pouvait susciter chez l’éditeur normalement constitué une manière de lassitude, chienne fidèle.
— T’as bu quoi, Lilith, hier soir avec Rimaniaque ? Parce que je ne sais pas si tu es au courant mais Robert Bloch est mort en 1994.
— Prends-moi pour une conne, Télémaque, je te rappelle que la réédition de La Starlette infernale est une idée de moi. Sinon, toi aussi tu as fait l’ivrogne avec Rimaniaque… répondit Lilith, qui alluma une cigarette, prit un Molexil et ouvrit une bouteille de Drappier zéro dosage avec une virtuosité qui rendit Télémaque muet d’admiration, de cette mutité typique du deleuzien qui voit sous ses yeux naître un nouveau percept.
— C’est une mauvaise plaisanterie, alors. Passe-moi un peu de champ’, steuple, Lilith.
— T’exagères, Télémaque, il est à peine onze heure du matin.
— Et toi, alors, ça n’a pas l’air de te gêner…
— On voit bien que ce n’est pas toi qui a reçu un coup de téléphone d’outre-tombe répondit-elle avec la plus parfaite mauvaise foi.
Télémaque s’abstint de lui faire remarquer qu’il n’y avait pas besoin d’un coup de téléphone de Bloch, de Goodis ou de Thompson pour que les bouchons de champagne claquassent dès potron-minet dans les locaux de ILK (I Like Kholkhose pour les initiés), 5, rue Lanus, Paris cinquième.
La jeune maison d’édition avait été fondée six mois plus tôt par les deux jeunes gens en compagnie de quelques individus peu recommandables du genre de Rimaniaque, tous des demi-soldes, paranoïaques ou ombrageux dont la seule excuse était un goût très sûr en manière de roman noir, de roman punk et plus généralement de littérarure pornographique, malsaine et dégénérée, à faire cauchemarder des intégristes onanistes ou des jeunes dindes élevées en batterie dans les couvents et qui croient à 17 ans que pédophile est un parfum de chewing-gum et non la vilaine habitude de leur professeur de langue de sortir son sboub et de le promener sur leurs visages quand elles ne savaient pas leurs verbes irréguliers (come, came, come in my ass…).
— Une mauvaise plaisanterie, j’en suis sûr répéta Télémaque. Un coup de Rimaniaque ou de Brouque ou de…
— Arrête de faire la liste des dingues avec qui on bosse, ça me déprime, dit Lilith en avalant un deuxième Molexil et en se versant à nouveau du Drappier. Puisque je te dis que c’était Robert Bloch…
— Mais comment tu peux en être si sûre ?
— Tu connais beaucoup de gens qui appellent en PCV depuis l’Enfer, toi ?