GÉRARD GUÉGAN.
La vie à bout portant
Pour qui aime la littérature sans détester le cinéma, « Racailles », le roman de Vladimir Kozlov, rappellera peut-être, dans l'acuité du regard, « Ils mourront tous sauf moi », le film de Valeria Gaï Guermanika. À ceci près qu'au contraire de la cinéaste, qui lorgne du côté de Nan Goldin, Kozlov s'inscrit, consciemment ou non, dans la tradition romanesque des premiers Soviétiques, Babel et Pilniak, tenants d'un réalisme à ras de terre qui leur coûta la vie. Les temps, heureusement, ont changé. Aucun juge n'expédiera Kozlov à la potence pour avoir, vingt ans après la perestroïka, tiré de cette époque-là - l'époque des grands possibles - une série de portraits-robots plus terrifiants les uns que les autres.
« Racailles » raconte, en effet, la vie en cité d'adolescents tenaillés aussi bien par le sexe que par l'envie de tourner la page du communisme bureaucratique, avec dans le rôle du Candide (mais un Candide qui raffolerait des mots crus) un certain Volodia dont chacun pensera assez vite qu'il doit beaucoup à l'auteur. Comme lui, il est brillant en classe sans croire un seul instant qu'il en tirera, à l'âge adulte, le moindre profit. Un grand crétin, qui a l'avantage sur Volodia d'avoir déjà fait l'amour, le martyrise et l'appelle « Crevard ».
Si tant est donc que Kozlov soit Volodia, eh bien, tout crevard qu'il a pu paraître être, il fait la démonstration avec son roman d'une énergie que plus d'un Français lui enviera. Un exemple.
Dans les premières pages de « Racailles », à côté de Volodia, on aperçoit Igor, le grand frère, pas vraiment méchant mais, d'évidence, promis, quand il aura quitté sa famille, à la dérive, à la casse. Sauf que le pire est toujours plus proche qu'on le pense. « Igor est mort, écrit à la page suivante Kozlov, à la fin de la seconde, au mois de mai. Il buvait du vin avec ses amis au bord de la rivière. Il est allé se baigner et il s'est noyé. »
C'est sec, c'est net, c'est la vie à bout portant. Remarquable.
« Racailles », Vladimir Kozlov, traduit (avec brio) du russe par Thierry Marignac, 272 p., éd. Moisson Rouge, 18 euros.
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