mercredi 10 mars 2010

La bête de miséricorde (1956) aux Éditions Moisson Rouge (2010)

Tiré du blog "Le  vent sombre"


Tucson, Arizona. Un homme découvre un cadavre dans son jardin, tué d'une balle dans la tête. Les enquêteurs dépêchés sur place ne trouvent aucun indice exploitable, mais l'un d'eux réussit à identifier le mort. Rescapé d'Auschwitz, immigré ensuite au Mexique et ruiné à la mort de son père, il était arrivé depuis peu avec sa famille pour tenter de refaire sa vie, mais avait perdu femme et enfants, quelques semaines plus tôt dans un accident de voiture.

Les jeunes Éditions Moisson Rouge ont inscrit à leur catalogue cette Bête de miséricorde de Frederic Brown, l'un des très grands romanciers de SF des années 40 et 50, qui ne rechignait pas non plus à produire de superbes textes noirs. Je retrouve donc ici avec plaisir ce compagnon d'adolescence, dans une nouvelle traduction d'Emmanuel Pailler. Ce dernier précise ses intentions dans la préface : restituer la précision, la concision, la sécheresse parfois de l'écriture de l'auteur de Night of the Jabberwock et de Martians, go home !, dissimulées sous les versions fantaisistes ou lyriques des années 50.

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La bête de miséricorde obéit à un plan original. Il s'agit d'une enquête à la Colombo [1] où nous connaissons assez tôt le meurtrier, mais pas ses motifs. Placés dans cette situation d'observateurs, nous pouvons suivre avec un autre regard les difficultés qu'éprouvent les enquêteurs pour remonter jusqu'à lui.

Le changement de narrateur à chaque chapitre permet à Brown de ne pas se cantonner à cette traque difficile. Le roman devient vite la chronique d'une ville de province, avec son lot d'alcool, de déprime, de racisme subtil, de trahisons comme d'amitiés. Sans flamboyance, Frank Ramos – le détective d'origine mexicaine – se transforme, sous nos yeux, en héros ordinaire de cette Amérique profonde. Intelligent, intuitif, sensible, cultivé, il est totalement dévoré par son métier au point d'en délaisser sa femme. Alors que son partenaire Red connait la félicité en se fiançant rapidement avec une jeune fille rencontrée au cours de l'enquête, Frank voit son couple se déliter. Frederic Brown nous offre alors un nouveau coup d'avance, nous permettant de mesurer, presque de façon indiscrète, tout ce qui sépare les époux Ramos, la tristesse des espoirs du mari, le piège dans lequel se trouve sa compagne.

La bête de miséricorde fait beaucoup penser à Jim Thompson. Ce faux rythme, cette nonchalance d'écriture très étudiée mettent encore plus en valeur les motifs du tueur, le discours religieux avec lequel il habille ses actes pour fuir sa culpabilité et la délivrance inattendue qui lui sera donnée. Loin de l'humour pour lequel Frederic Brown est passé dans l'histoire de la littérature, La bête de miséricorde est un classique lent, profond, sans rapport avec les turpitudes et frénésies actuelles. 

Source : http://polars.cottet.org/K/la_bete_de_misericorde.html
 
Illustration de la page : La mission San Xavier à Tucson

Musique écoutée pendant l'élaboration de cette note : Catherine Riberio + Alpes, une cassette usée jusqu'à la corde de 1970.

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