lundi 17 janvier 2011

Mémoires d'un poisson rouge (3)

Chapitre Trois
L.A. STORY de James Frey

Un des procédés narratifs les plus passionnants à mon sens, est ce que j’appelle les “histoires parallèles” : mêler deux histoires (ou plus) en alternant les chapitres, constitue un moyen très efficace  d’accrocher et de maintenir le lecteur dans un état de curiosité terriblement excitant : on ne cesse de se demander quand et comment — et si — ces histoires vont enfin se relier…  Quelques bouquins utilisant ce procédé, comme “Un homme, un vrai” de Tom Wolfe, m’ont particulièrement marqué, mais aucun ne m’avait autant embarqué que L.A. Story (Bright Shiny Morning) de James Frey.

Dans ce roman de presque cinq cents pages se côtoient une multitude de personnages particulièrement bien construits, dont le seul lien véritable est la ville…  Et quelle ville que Los Angeles ! Capitale mondiale du polar, la ville où le crime et la violence sont élevés au rang de culture… la Mecque du roman noir. De Chandler à Ellroy,  j’ai l’impression d’y être allé mille fois au cours de mes lectures… Ces lieux si familiers, où je n’ai pourtant jamais mis les pieds, se prêtent particulièrement bien au genre, mais aussi au style narratif en question, du fait de son immense superficie, de la diversité terriblement contrastée de ses quartiers — Watts, Bel-Air, Chinatown, Hollywood, Compton, Venice — et des incroyables écarts entre les communautés qui forment ses quelques neuf millions d’habitants.

Au cinéma, c’est devenu particulièrement flagrant ces dernières années. Les scénaristes usent de ce procédé, parfois pour le pire, mais aussi pour le meilleur : On leur doit quelques merveilles comme Babel, Magnolia, Crash, 21 grammes, ou encore Traffic, et l’une des plus belles réussites du genre : le branquissime Pulp fiction, évidemment.

Bien entendu, ces histoires se déroulent la plupart du temps à Los angeles.

Dans ce premier roman publié aux Etats Unis en 2008, et en France, chez Flammarion en 2009, James Frey nous livre les destins parallèles de personnages qui auraient pu ressembler à une série d’archétypes grossiers s’ils n’étaient pas aussi bien sentis : Du couple d’acteurs en vogue, hypernarcissiques, au loser alcoolique et sa bande de copains sans-abri de Venice beach, de la femme de ménage Latino, aux petits jeunes pécores venus s’essayer au rêve américain, on suit les trafics redoutables d’un gang de bikers, la croisade d’une bande de clodos, ou les préoccupations nombrilistes, paranoïaques et égosexuelles de richissimes connards. On passe d’un personnage à l’autre, on s’attache à certains, on vit à côté d’eux, presque à les toucher, tant il nous semble les connaître.

Eux, mais aussi L.A…

Car le tour de force de ce roman, c’est de nous faire ressentir Los Angeles non comme un lieu, un espace à un moment précis,  mais comme un personnage à part entière. Usant de ce style narratif d’histoires parallèles, l’auteur nous raconte l’évolution de la ville la plus redoutable d’Amérique, depuis sa fondation jusqu’à la mégapole qu’elle est devenue. Chapitre après chapitre, parfois sous un angle sociologique ou ethnique, parfois  d’un point de vue foncier, à travers l’histoire de sa presse, de ses gangs, de sa police, ou tout simplement au détour de simples faits divers, on prend petit à petit conscience de l’entité démoniaque qu’est Los Angeles.

Loin de nous donner la moindre leçon de morale ou d’histoire, James Frey écrit avec passion et tendresse, mais aussi avec beaucoup d’intelligence, dans un style plus proche de la nouvelle ou du journalisme que du pur roman noir.

L.A. Story représente pour moi l’exemple le plus réussi d’un des styles narratifs les plus dangereux et probablement les plus casse-gueule.

Tiens, je vais le prêter à Hector !

1 commentaire:

bruno a dit…

un magnifique billet qui a atteint son but, m'emballer et me convaincre.Ma liste de courses chez le libraire vient de s'allonger!