Samuel Mazeau, l'aîné, et son frère Jonathan ont été durant quelques mois et le temps d'un album des stars de la mouvance punk-rock, jusqu'au jour où, durant une tournée, Jon a fait une overdose.
Depuis ils se sont repliés du côté de Rive-de-Gier, non loin de Saint-Étienne, là où vit leur mère. Sam cohabite tant bien que mal avec sa copine Zoé et vivote à coup de RMI dans une parano révolutionnaire de pacotille, laissant libre cours à sa fascination pour les armes, tandis de Jon suit un programme de désintoxication à base de méthadone et s'est installé chez sa mère. Pour eux, la musique, c'est terminé.
A la suite d'une altercation à propos de leur chien sur une terrasse de restaurant, ils font la connaissance de Godzilla — sorte de monstre acnéique homosexuel — à qui Jon a tapé dans l'œil. Godzilla est en mission, sans doute pour tuer quelqu'un, mais à son retour vers Paris, il fait un arrêt pour retrouver Jon et savourer une étreinte rapide.
Pour Jon, qui se débat dans sa cure déprimante, c'est un éclair de jouvence ; pour Sam, qui vient de se faire virer par son proprio, c'est l'occasion de monter à Paris puisque Godzilla vient d'y inviter son frère. Pourtant, pour leur seconde rencontre, c'est seul que Jon se rendra à la capitale ; un événement vécu comme une trahison par son frère…
La première chose qui frappe à la lecture de Jaguars — et lorsqu'on a déjà connu Moi comme les Chiens, le précédent et premier roman de Sophie Di Ricci — ce sont certaines similitudes dans l'ambiance et les personnages : la jeunesse de ces derniers, le fait qu'il s'agissent d'hommes, que l'un d'eux soit homosexuel, que la drogue ne soit jamais très loin et qu'ils naviguent plus ou moins en milieu underground. Alors on se dit qu'on est parti pour une suite, ou un prolongement de cette première expérience et de fait, Sophie Di Ricci reconnaît elle-même qu'elle poursuit ici une sorte de portrait, celui de la progéniture des freaks des années soixante, soixante-dix, représentée ici par la mère de Sam et Jon (Sam aurait été lui-même conçu sous l'emprise de l'héroïne). Pour autant, les différences se font bientôt sentir. À l'incroyable solitude d'Alan (narrateur de Moi comme les Chiens) succède le mal-être de Jon et sa quête de "normalité" symbolisée par la stabilité d'une épaule solide.
Le problème est sans doute que cette épaule est celle de Godzilla, trafiquant de drogue, un tueur esthète et autoritaire. Malgré cela, c'est une histoire d'amour qui se noue entre les deux hommes, une histoire peu ordinaire, à la "je t'aime, moi non plus", mais une histoire puissante, sensuelle.
Sophie Di Ricci construit son roman à coup de scènes rapides, dans un découpage quasiment cinématographie privilégiant les dialogues (et la langue fleurie), et nous donne à lire comme un road-polar immobile, une sorte de chronique du temps qui passe dans cet underground décalé où rien n'est jamais acquis. Le style tend vers la simplicité et l'efficacité. L'environnement est sordide — que ce soit les scènes en compagnie de la mère ou celles se situant dans le cinéma désaffecté qui sert de QG à Godzilla — mais Jon s'accroche coûte que coûte à son rêve impossible.
À ses côtés, son inséparable frère, celui qui joue à l'homme mais se retrouve perdu dès que son cadet n'est plus à portée de regard, ce révolutionnaire en chambre, ce manipulateur de pacotille, ce mec comme les autres quoi, par qui tous les malheurs arrivent…Jaguars est une longue et inexorable glissade vers le fond du trou, éclairée par quelques éclairs de sensualité brute. Si Sophie Di Ricci s'attache avant tout à ses personnages, à leurs vies et à leurs amours, son roman dresse cependant, loin de toute entreprise sociologique, le portrait anecdotique, de l'intérieur, d'une certaine jeunesse et c'est sans doute, au final, ce qui fait son intérêt.
vendredi 9 décembre 2011
Chronique de Jaguars de Sophie Di Ricci sur Polarnoir
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