Lebeaux appuya sur la touche pour arrêter la cassette. Son avocat ne cilla pas, il se contenta de rester à sa place, appuyé contre un côté du bureau, regardant le magnétophone comme s'il entendait encore la voix. Son flegme faisait bouillir Lebeaux. Si celui-ci n'intervenait pas, il allait rester là, debout, pendant une heure, sa mallette en cuir à la main - mais enfin, pourquoi ne la posait-il pas par terre ? -, à observer le magnétophone par-dessus ses lunettes et à frotter les uns contre les autres, dans un mouvement lent, délibéré, agaçant, les doigts de la main qui ne tenait pas la mallette.
- La bande est finie, Degand.
L'avocat acquiesça lentement, sans perdre la machine de vue, il semblait croire qu'elle allait se mettre en marche toute seule d'un moment à l'autre. Il continuait à se frotter le bout des doigts.
Il se racla la gorge à deux reprises, ce qui aurait pu constituer un prélude à la phrase qu'il allait prononcer, mais après ça, rien ne vint.
- Bon Dieu, Degand, dites quelque chose, donnez votre avis, plaignez-vous, réconfortez-moi, jurez. Mais dites quelque chose.
L'avocat émergea de sa fascination pour le magnétophone ; il leva la tête et se racla la gorge à nouveau.
- Je peux enlever mon pardessus ?
- Vous pouvez même vous mettre à poil si vous me dites ce que vous pensez de l'enregistrement.
Degand enleva lentement son pardessus qui, comme tous les vêtements qu'il portait, semblait neuf; il l'accrocha au portemanteau. Il demanda en haussant les sourcils la permission de s'asseoir et interpréta comme un assentiment le regard désespéré que son chef adressa au ciel.
- C'est un chantage de bas étage, affirma-t-il. Lebeaux l'observa quelques instants, émerveillé. Personne n'aurait jamais deviné que cet homme à l'air ahuri, respectueux jusqu'à la servilité, d'une propreté maniaque, au débit lent et pas toujours cohérent - on l'aurait imaginé sans peine vieillissant au milieu des archives du palais de justice -, était habité par une intelligence hors du commun et un esprit de décision qui ne tolérait pas d'obstacles. Il ne lui manquait que la faculté d'expression.
- Mais encore ?
- Si ça ne vous dérange pas, j'aimerais vous demander...
- Activez, Degand ; demandez ce que vous avez à demander. Et dites ce que vous avez à dire.
[la suite en librairie...]
jeudi 14 février 2008
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1 commentaire:
Très intéressant et courageux, la moisson promet bonne augure.
micmac08
www.micmac-planet.com
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