Notre grand auteur est un monsieur charmant, il suffit de quelques mots échangés pour s’en rendre compte. Quand la voiture entre dans Paris, il nous demande une faveur : depuis qu’il a découvert, à l’âge de douze ans, Le Fantôme de l’Opéra avec Lon Chaney, il rêve de voir l’Opéra de Paris « pour de vrai ». Rien de plus facile. Les bureaux de Pac, l’éditeur de Red Label, où nous sommes attendus, se trouvent rue Saint-Roch. Au volant de ma petite voiture, Bloch se tordant le cou pour mieux voir, je fais donc le tour de l’Opéra, le plus lentement possible, une fois, deux fois, trois fois. Bloch est enchanté. « Mon Dieu, nous dit-il, c’est comme une île en plein milieu de la ville… »
Dans les bureaux de Pac éditions, le patron, Thierry Schimpf, nous attend. Bloch s’installe, détendu, souriant. Le Crépuscule des stars est sorti en France quatre mois plus tôt, bien accueilli par les lecteurs et la critique. J’ai beaucoup de questions à lui poser au sujet de ce roman. Ce que Bloch nous en dit a de quoi susciter bien des regrets : dans son esprit, ce devait être le premier volume d’une trilogie consacrée à l’histoire du cinéma, une vraie passion pour lui. Mais le livre, publié en dépit du bon sens par un éditeur qui n’y croyait pas, affublé d’un titre débile qui n’était pas celui choisi par Bloch (Star Stalker, censé attirer les amateurs de science-fiction alors que ça n’avait rien à voir), se vendra très mal, et la suite ne verra jamais le jour.
Mais Robert Bloch, manifestement, n’a pas envie de s’étendre sur
son œuvre. Il nous pose tout à coup cette question surgie de nulle part : « Connaissez-vous Fredric Brown ? » Bien sûr, nous le connaissons, c’est même l’un des auteurs phares de Red Label. Bien qu’il n’ait pas besoin de prêcher les convaincus que nous sommes, Robert Bloch nous parlera pendant une demi-heure de son ami Fredric Brown, écrivain aux talents multiples, capable d’aborder tous les genres avec le même bonheur, et à son humble avis tristement méconnu dans son propre pays. « Rendez-vous compte, s’indigne-t-il, quand vous cherchez un de ses livres dans une librairie américaine, vous trouvez un mètre cinquante de romans signés Carter Brown, et pas un seul FREDRIC Brown ! »
Quelques jours plus tard, au festival de Reims, on mesurera d’autant mieux la modestie de Robert Bloch, invité d’honneur venu de Los Angeles pour parler de ses livres et qui préfèrera chanter les louanges d’un autre écrivain : il suffira d’écouter quelques jeunes auteurs français, qui avaient à peine pondu deux ou trois bouquins, pérorer sur leur œuvre, leur style (« Mes petites phrases courtes, c’est beaucoup de travail »). Bref, un sérieux hiatus.
Aujourd’hui, bien des années après la disparition de Robert Bloch et de Fredric Brown, leurs admirateurs ont des raisons de se réjouir : aux États-Unis, les rééditions de ces deux auteurs se multiplient, des trésors sont de nouveau disponibles, et les lecteurs français vont être comblés dans les mois qui viennent grâce à Moisson Rouge.
La suite du dossier est à lire sur le site de Moisson rouge...
1 commentaire:
Good words.
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