vendredi 10 octobre 2008

Trois questions à Fernando Bonassi


1 Qui êtes-vous, Fernando Bonassi ?

FB : Je suis né dans le quartier de Mooca, dans la ville de São Paulo (ville, pour ne pas confondre avec l’Etat du même nom - NDLT), en 1962. A l’origine c’était un quartier d’émigrants italiens et espagnols, qui a accueilli plus tard, des migrants de tout le Brésil. Mes grands-parents maternels venaient de Calabre en Italie et mes grands-parents paternels de Mantoue, (également en Italie, Mantoue, la ville où s’exila Roméo)…
Mon grand-père maternel, un animal à peine civilisé, a travaillé 35 ans accroché à la même machine, pour un de ses compatriotes industriels à São Caetano do Sul (tout près de São Paulo, la capitale). Mon grand-père maternel, lui, a prospéré en construisant et louant des petits immeubles d’habitation dans ce qui était alors la banlieue de la ville. Je me souviens très bien d’avoir parcouru des pièces sombres et humides pour aller chercher l’argent des loyers. J’ai vécu dans ces limbes de la petite classe moyenne brésilienne, où la peur de la misère planait au-dessus des repas de famille. Mon envie d’écrire, au début, a fait rire ma famille, mais on s’est rendu compte très vite que je ne voulais rien faire d’autre. Tous les boulots que j’ai exercés (d’ouvrier métallurgiste à vendeur dans une boutique de disques) me paraissaient idiots et je ne les gardais pas longtemps. J’avais pour moi, que j’étais très « studieux », ce qui empêchait les récriminations familiales. Par ailleurs, les membres de ma famille étaient tous ouvriers dans la métallurgie (comme mon grand-père maternel, dont je me suis inspiré pour le personnage du Vieux dans Suburbio) et extrêmement réactionnaires. Au milieu de cette culture étouffante, j’ai commencé très tôt à penser quitter la maison (ma mère raconte qu’à quatre ans j’ai fait ma valise et je suis parti m’asseoir sur le trottoir), mais aussi du fait de la conscience politique que j’avais acquis en vivant dans une ville qui a été le berceau du nouveau syndicalisme brésilien et où est né le Parti des Travailleurs, d’où est issu Lula, l’actuel président de la République. Cela apparaît de façon évidente dans tout ce que je fais, en particulier dans mon questionnement sur une supposée « éthique du travail », qui n’est rien d’autre que la forme morale du fascisme, pour maintenir les ouvriers dans une torpeur bovine.
Je fais partie de la première génération de ma famille à avoir fait des études universitaires (Ecole de Communication et Arts de l’Université de São Paulo) et cela dans les derniers temps de la dictature, dans un contexte extrêmement créatif, audacieux, malgré l’oppression.
J’ai commencé à écrire parce que je suis tombé amoureux d’une fille que je n’intéressais pas, qui ne me regardait même pas… J’ai donc décidé de lui écrire des lettres. Et je me suis rendu compte pendant que j’écrivais ces lettres, que le simple fait d’écrire, de mettre sur papier la douleur de n’être pas aimé, me soulageait. J’ai compris très vite qu’écrire c’était faire quelque chose pour ne pas devenir fou au milieu de toutes ces carences, de la précarité dans les quelles que nous vivions. Que c’était le seul travail vraiment indispensable.
Dans les 40 dernières années, la ville de São Paulo est passée de quatre millions d’habitants à plus de vingt millions aujourd’hui. Ecrire dans un endroit comme celui-là, au milieu de ces 20 millions de gens qui essaient survivre dans le manque d’espace, d’air pur, de santé publique, avec une police qui a gardé dans sa formation les idées barbares de la dictature n’est pas difficile. La tragédie brésilienne pullule quotidiennement dans les journaux…
J’ai lu Henry Miller, Albert Camus et Graciliano Ramos (grand écrivain brésilien né en 1892 dans le Nordeste, mort en 1925, très engagé à gauche NDLT) comme on lit la Bible, je suis le produit moral de ces auteurs. Cela dit, je tiens compte de l’importance de l’amour (y compris sexuel), d’un positionnement éthique et je ressens, en même temps, une certaine gêne à écrire. Il me semble que c’est quelque chose de vain dans les circonstances historiques actuelles…
Mes hobbies ? Quelques uns illégaux, d’autres plus raisonnables… Le meilleur d’entre eux a été de m’occuper de ma fille Valentina, qui a quatre ans, en attendant la naissance de Uma, ma nouvelle fille qui va naître bientôt.

2 Vous êtes connu au Brésil comme scénariste, dramaturge, réalisateur, écrivain. Mais comment et pourquoi avez-vous commencé à écrire des romans ? Qu’est-ce qui vous a motivé ? Et quels sont vos thèmes favoris ?

FB : A l’origine, je suis un écrivain. Vint-cinq de mes livres ont été publiés à ce jour, entre nouvelles, romans, littérature pour la jeunesse. Je travaille pour le cinéma juste pour gagner ma vie, puisque le cinéma brésilien a oublié son impertinence de jadis. Quant au théâtre, c’est mon principal champ d’expérimentation. Je suis en train de finaliser ma troisième direction théâtrale. Actuellement j’écris et je mets en scène des monologues qui connaissent un certain succès. C’est à ce stade de ma vie le travail de création qui me donne le plus de plaisir.

3 Vous parlez tellement bien des personnages de Suburbio, des gens qu’on a pas l’habitude ici en France de rencontrer dans la littérature brésilienne : le petit prolétariat de São Caetano do Sul, São Paulo. Vous pouvez me dire ce que représentent pour vous São Caetano do Sul et ses habitants, en général et pour vous en particulier ?

FB : São Caetano do Sul avec São Bernardo et Santo André, forment ce qu’on appelle l’ABC pauliste. C’est le berceau de l’industrie automobile qui a pris d’assaut le pays à la fin des années 50. C’est là aussi comme je l’ai dit plus haut, qu’est né un nouveau syndicalisme, plus hardi et inventif que ce que s’autorisaient les leaders du temps de la dictature et qui a été à l’origine d’une des plus importantes expériences de la gauche latino-américaine, le Parti des Travailleurs. Même si je trouve que le gouvernement du Président Lula est un peu nul en ce qui concerne ses résultats sociaux (il est plus mercantiliste que le Roi !), il est évident que ses positions sont d’une meilleure qualité démocratique. Dans un pays qui nage dans les contradictions les plus folles, il n’y a pas beaucoup de solutions pour le citoyen : ou il se flingue, ou il intègre l’imbécillité régnante… ou il écrit contre cette imbécilité !

Fernando Bonassi, Suburbio Traduit du portugais (Brésil) par Danielle Schramm

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